de Fortune de €ric
A force d’enquêtes judiciaires, l’île aux volcans a fait drastiquement diminuer ses dettes. Étonnant non ?
La crise financière mondiale, attisée localement par la cupidité aussi surprenante que hors norme des banquiers islandais, a bien failli rayer l’île de la carte en 2008.
Johanna Siguroardottir, Premier Ministre islandais
Aujourd’hui c’est du côté de Reykjavik – que l’agence de notation Fitch a d’ailleurs relevé d’un cran à la mi-février – et qui a renoué avec la croissance en 2011 jusqu’à tabler sur un taux de 2,7 % pour 2013 avec une balance commerciale redevenue excédentaire, que se déroule une véritable révolution dans l’indifférence quasi générale des médias européens.
Petit rappel d’islandais pour les nuls : C’est en 2008 que le phénomène a pris naissance. A l’époque, la Couronne Islandaise était sur le point de rejoindre l’épave du Titanic. Les Polonais employés en masse dans la pêche et la construction, allaient se résoudre à abandonner leur petit paradis d’immigration et à remettre le cap sur Varsovie.
La bourse décidait de se mettre en sommeil après une chute de 76 % en quelques jours, et le gouvernement nationalisait les banques Glitnir, Landsbanki et Kaupthing, dont la clientèle était – cherchez l’erreur – principalement anglaise et américaine pour leur éviter la faillite. Les dettes du pays frôlant alors 9 fois son PIB…
Entrée en scène fin octobre 2008, du FMI et des pays frères scandinaves auxquels s’est joint la Pologne reconnaissante, qui contribuent respectivement à hauteur de 2,1 et 2,5 milliards de dollars à la réparation des dégâts.
Les pêcheurs au harpon islandais qui se méfiaient comme de la peste d’une combine institutionnelle pour leur passer la corde au cou à la grecque, descendent dans la rue et chassent le gouvernement Conservateur de Geir Haarde en exigeant des élections anticipées.
En avril 2009 une nouvelle coalition de socialistes et d’écologistes prend les choses en mains sous la conduite de Johanna Siguroardottir, nouvelle Premier ministre. Johanna, ex-hôtesse de l’air ayant bossé en usine pour fabriquer du carton d’emballage à poisson, a su garder les pieds sur terre. Première chef de gouvernement au monde à s’être mariée civilement avec sa copine Jonina Leosdottir, la dame n’a peur de rien et n’est pas prête à s’en laisser conter par les vautours de la finance.
Un échéancier de remboursement de 3,5 milliards d’Euros sur 15 ans à 5,5 % d’intérêt est donc négocié avec les principaux créanciers du pays et ceux des banques nationalisées. Las, l’Islandais de base a fait ses comptes. Il redescend dans la rue pour demander que le projet de loi soit soumis à référendum. Le président lui donne raison en janvier 2010 et la consultation populaire organisée en avril donne 93 % de refus de casquer à ce prix-là.
Johanna fait donc savoir aux créanciers qu’ils vont devoir revoir leur copie. Afin de les convaincre que les Islandais sont têtus, le Parlement insulaire vote la nomination d’un Procureur Spécial, chargé d’enquêter sur les raisons du naufrage financier et d’en déférer les responsables présumés devant la justice.
Le job est confié à Olafur Thor Hauksson qui n’a aucune compétence en criminalité financière et a été le patron de la très débonnaire police locale au cours des 10 dernières années. C’est le ministre de la Justice qui l’a encouragé à faire acte de candidature car personne d’autre ne s’est présenté pour ce sale travail. Eva Joly qui traquait la débauche financière avant de prendre une veste à l’élection présidentielle – la nôtre – va d’ailleurs payer de sa personne comme consultante pour mettre Olafur au parfum.
Les leçons d’Eva sont profitables : dès le 11 mai 2010, le procureur lance un mandat d’arrêt international contre Sigurdur Einarsson, l’ancien patron de la banque Kaupthing.
Sans doute bouleversé de découvrir sa tronche dans la rubrique des « wanted » du site d’Interpol, Einarsson rentre « volontairement » au pays dès le mois d’août. Pour y répondre d’accusations de manipulation de marché, fraudes et escroqueries.
En septembre, c’est au tour de l’ancien Premier ministre Geir Haarde de répondre d’accusations de négligence dans la gestion de la crise financière.
Le 20 janvier 2011, le procureur Spécial qui commence à bien maîtriser son sujet, décide de se faire une petite perquise’ à la Banque Centrale Islandaise pour recouper des infos obtenues sur deux seconds couteaux, les MP Bank et Straumur Bank. En sortant, Olafur le justicier rend visite à Jon Thorsteinn Oddleifsson, l’ancien trésorier de la banque Landsbanki et lui passe… les bracelets.
Des enquêtes judiciaires font plier les créanciers
Étrangement, et sans qu’on puisse y lire une quelconque relation de cause à effet, les créanciers reviennent avec une nouvelle proposition d’apurement de la dette islandaise : on passe de 15 à 37 ans et le taux d’intérêt demandé tombe à 3 % ! « Non et non ! » persistent à répondre les natifs consultés en Avril 2011 après que le président local, Olafur Ragnar Grimsson ait refusé de ratifier la loi précédente ayant pris en compte la dernière proposition des créanciers.
Comme en écho à l’entêtement de ses compatriotes, le Procureur Hauksson fait arrêter en décembre 2011, Làrus Welding, l’ancien directeur général de la banque Glitnir. En avril 2012, c’est au Luxembourg qu’on retrouvera Hauksson et sa petite équipe, supervisant une perquisition effectuée par la police du Grand Duché à sa demande, à la suite d’écoutes téléphoniques d’une petite centaine d’Islandais « ayant exercé par le passé des responsabilités dans le secteur financier islandais ».
Il n’en faudra pas plus pour convaincre ceux qui n’ont pas encore quitté le pays de le faire brutalement en renonçant aux indemnités dodues qu’ils exigeaient jusque-là à la suite de la nationalisation des banques et de leur licenciement un brin brutal il est vrai…
La démocratie des volcans
Moins connue que sa grande sœur athénienne, la démocratie à la sauce islandaise fonctionne tout de même depuis l’an 930. Ayant tiré les leçons de la crise, la convocation d’une assemblée constituante en décembre 2010 était donc une formalité.
Dès février 2011, les 25 élus (10 femmes et 15 hommes) issus de toutes les couches de la société, se mettent au travail. Un mois plus tard, ils deviennent officiellement le « Conseil Constitutionnel ». Lequel adopte à l’unanimité un projet de nouvelle constitution remis au Parlement le 27 juillet 2011.
Le projet devrait être soumis à référendum à la fin du mois – pendant que d’autres s’étriperont sans doute au sommet de Bruxelles – avant son adoption par le parlement ; à sa lecture, on en bave d’envie : le droit effectif de communication au public de toute la documentation détenue par les pouvoirs publics devrait être garantie par la loi.
De même que l’indépendance absolue des tribunaux ; et les sources de revenus des collectivités locales ; tout autant que la possibilité de lancer des commissions d’enquêtes sur les pratiques gouvernementales à la seule demande d’un tiers des membres du parlement ; sans parler des protections constitutionnelles prodiguées au journalisme d’investigation nées de l’Initiative Islandaise pour des Médias Modernes, déjà évoquée par Bakchich, pour lesquelles Wikileaks s’était fortement impliquée.
Les médias qui veulent poursuivre la traque mondiale des banksters nous ayant mis dans ce pétrin, savent donc maintenant où s’installer. De même que Jérôme Kerviel, s’il lui venait un jour l’idée de se lancer dans le consulting en organisation de back-offices dignes de ce nom…
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